Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/191

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Il jugea la con­science incapable d’apercevoir les faits psychologiques autrement que par juxtaposition, oubliant qu’un milieu où ces faits se juxtaposent, et se distinguent les uns des autres, est nécessairement espace et non plus durée. Par là il fut conduit à croire que les mêmes états sont susceptibles de se reproduire dans les profondeurs de la conscience, comme les mêmes phéno­mènes physiques dans l’espace ; c’est du moins ce qu’il admit implicitement quand il attribua au rapport de causalité le même sens et le même rôle dans le monde interne que dans le monde extérieur. Dès lors la liberté devenait un fait incompréhensible. Et néanmoins, par une confiance illimitée, mais incon­sciente, en cette aperception interne dont il s’efforçait de restreindre la portée, il croyait à la liberté inébranlablement. Il l’éleva donc à la hauteur des noumènes ; et comme il avait confondu la durée avec l’espace, il fit de ce moi réel et libre, qui est en effet étranger à l’espace, un moi également extérieur à la durée, inaccessible par conséquent à notre faculté de connaître. Mais la vérité est que nous apercevons ce moi toutes les fois que, par un vigoureux effort de réflexion, nous détachons les yeux de l’ombre qui nous suit pour rentrer en nous-mêmes. La vérité est que si nous vivons et agissons le plus souvent extérieurement à notre propre personne, dans l’espace plutôt que dans la durée, et si, par là, nous donnons prise à la loi de causalité qui enchaîne les mêmes effets aux mêmes causes, nous pouvons cependant toujours nous replacer dans la pure durée, dont les moments sont intérieurs et hétérogènes les uns aux autres, et où une cause ne saurait reproduire son effet, puisqu’elle ne se reproduira jamais elle-même.

C’est dans cette confusion de la vraie durée avec son symbole que résident, selon nous, la force et la faiblesse du kantisme tout à la fois. Kant imagine des choses en soi d’un côté, et d’autre part un Temps et un Espace homogè