Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/32

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plexité croissante confusément aperçue. Mais la conscience, habituée à penser dans l’espace et à se parler à elle-même ce qu’elle pense, désignera le sentiment par un seul mot et localisera l’effort au point précis où il donne un résultat utile : elle apercevra alors un effort, toujours semblable à lui-même, qui grandit sur la place qu’elle lui a assignée, et un sentiment qui, ne changeant pas de nom, grossit sans changer de nature. Il est vraisemblable que nous allons retrouver cette illusion de la conscience dans les états intermédiaires entre les efforts superficiels et les sentiments profonds. Un grand nombre d’états psychologiques sont accompagnés, en effet, de contractions musculaires et de sensations périphériques. Tantôt ces éléments superficiels sont coordonnés entre eux par une idée purement spéculative, tantôt par une représentation d’ordre pratique. Dans le premier cas, il y a effort intellectuel ou attention ; dans le second se produisent des émotions qu’on pourrait appeler violentes ou aiguës, la colère, la frayeur, et certaines variétés de la joie, de la douleur, de la passion et du désir. Montrons brièvement que la même définition de l’intensité convient à ces états intermédiaires.

L’attention n’est pas un phénomène purement physiologique ; mais on ne saurait nier que des mouvements l’accompagnent. Ces mouvements ne sont ni la cause ni le résultat du phénomène ; ils en font partie, ils l’expriment en étendue, comme l’a si remarquablement montré M. Ribot[1]. Déjà Fechner réduisait le sentiment de l’effort d’attention, dans un organe des sens, au sentiment musculaire « produit en mettant en mouvement, par une sorte d’action réflexe, les muscles qui sont en rapport avec les différents organes sensoriels ». Il avait remarqué cette sensation très distincte de tension et de contraction de la

  1. Le mécanisme de l’attention, Alcan, 1888.