Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/62

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donne, ou vous usez d’un mode de représentation conventionnel. Dans le premier cas, vous trouverez entre S et S’une différence analogue à celle des nuances de l’arc-en-ciel, et point du tout un intervalle de grandeur. Dans le second, vous pourrez introduire le symbole ∆S, si vous voulez, mais c’est par convention que vous parlerez de différence arithmétique, par convention aussi que vous assimilerez une sensation donnée à une somme. Le plus pénétrant des critiques de Fechner, M. Jules Tannery, a mis ce dernier point en pleine lumière : « On dira, par exemple, qu’une sensation de 50 degrés est exprimée par le nombre de sensations différentielles qui se succéderaient depuis l’absence de sensation jusqu’à la sensation de 50 degrés… Je ne vois pas qu’il y ait là autre chose qu’une définition, aussi légitime qu’arbitraire[1]. »

Nous ne croyons pas, quoi qu’on en ait dit, que la méthode des graduations moyennes ait fait entrer la psychophysique dans une voie nouvelle. L’origi­nalité de M. Delbœuf a été de choisir un cas particulier où la conscience parût donner raison à Fechner, et où le sens commun fût lui-même psychophysicien. Il s’est demandé si certaines sensations ne nous apparaissaient pas immé­diatement comme égales, quoique différentes, et si l’on ne pourrait pas dresser par leur intermédiaire un tableau de sensations doubles, triples, quadruples les unes des autres. L’erreur de Fechner, disions-nous, était d’avoir cru à un intervalle entre deux sensations successives S et S’, alors que de l’une à l’autre il y a simplement passage, et non pas différence au sens arithmétique du mot. Mais si les deux termes entre lesquels le passage s’effectue pouvaient être donnés simultanément, il y aurait cette fois contraste en outre du passage ; et quoique le contraste ne soit pas encore une différence arithmétique, il y ressemble par

  1. Revue scientifique, 13 mars et 24 avril 1875.