Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/81

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immédiate ne leur attribuait pas. Or remarquons que, lorsque nous parlons du temps, nous pensons le plus souvent à un milieu homogène où nos faits de conscience s’alignent, se juxtaposent comme dans l’espace, et réussissent à former une multiplicité distincte. Le temps ainsi compris ne serait-il pas à la multiplicité de nos états psychiques ce que l’intensité est à certains d’entre eux, un signe, un symbole, absolument distinct de la vraie durée ? Nous allons donc demander à la conscience de s’isoler du monde extérieur, et, par un vigoureux effort d’abstraction, de redevenir elle-même. Nous lui poserons alors cette question : la multiplicité de nos états de conscience a-t-elle la moindre analogie avec la multiplicité des unités d’un nombre ? La vraie durée a-t-elle le moindre rapport avec l’espace ? Certes, notre analyse de l’idée de nombre devrait nous faire douter de cette analogie, pour ne pas dire davantage. Car si le temps, tel que se le représente la conscience réfléchie, est un milieu où nos états de conscience se succèdent distinctement de manière à pouvoir se compter, et si, d’autre part, notre conception du nombre aboutit à éparpiller dans l’espace tout ce qui se compte directement, il est à présumer que le temps, entendu au sens d’un milieu où l’on distingue et où l’on compte, n’est que de l’espace. Ce qui confirmerait d’abord cette opinion, c’est qu’on emprunte nécessairement à l’espace, les images par lesquelles on décrit le sentiment que la conscience réfléchie a du temps et même de la succession : il faut donc que la pure durée soit autre chose. Mais ces questions, que nous sommes amenés à nous poser par l’analyse même de la notion de multiplicité distincte, nous ne pourrons les élucider que par une étude directe des idées d’espace et de temps, dans les rapports qu’elles soutiennent entre elles.

On aurait tort d’attribuer une trop grande importance à