Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/94

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des faits de conscience les uns dans les autres, avec l’enrichissement graduel du moi ; mais le temps que l’astronome introduit dans ses formules, le temps que nos horloges divisent en parcelles égales, ce temps-là, dira-t-on, est autre chose ; c’est une grandeur mesurable, et par conséquent homogène. — Il n’en est rien cependant, et un examen attentif dissipera cette dernière illusion.

Quand je suis des yeux, sur le cadran d’une horloge, le mouvement de l’aiguille qui correspond aux oscillations du pendule, je ne mesure pas de la durée, comme on paraît le croire ; je me borne à compter des simultanéités, ce qui est bien différent. En dehors de moi, dans l’espace, il n’y a jamais qu’une position unique de l’aiguille et du pendule, car des positions passées il ne reste rien. Au dedans de moi, un processus d’organisation ou de pénétration mu­tuelle des faits de conscience se poursuit, qui constitue la durée vraie. C’est parce que je dure de cette manière que je me représente ce que j’appelle les oscillations passées du pendule, en même temps que je perçois l’oscillation actuelle. Or, supprimons pour un instant le moi qui pense ces oscillations du pendule, une seule position même de ce pendule, point de durée par consé­quent. Supprimons, d’autre part, le pendule et ses oscillations ; il n’y aura plus que la durée hétérogène du moi, sans moments extérieurs les uns aux autres, sans rapport avec le nombre. Ainsi, dans notre moi, il y a succession sans extériorité réciproque ; en dehors du moi, extériorité réciproque sans succes­sion : extériorité réciproque, puisque l’oscillation présente est radicalement distincte de l’oscillation antérieure qui n’est plus ; mais absence de succession, puisque la succession existe seulement pour un spectateur conscient qui se remémore le passé et juxtapose les deux oscillations ou leurs symboles dans un espace auxiliaire. —