Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/143

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tion. Étant spécial, il doit tenir à des causes spéciales, qu’il importe de déterminer.

Resterait enfin à chercher l’origine du phénomène dans la sphère de l’action, plutôt que dans celles du sentiment ou de la représentation. Telle est la tendance des plus récentes théories de la fausse reconnaissance. Déjà, il y a bien des années, nous signalions la nécessité de distinguer des hauteurs diverses de tension ou de ton dans la vie psychologique. Nous disions que la conscience est d’autant mieux équilibrée qu’elle est plus tendue vers l’action, d’autant plus chancelante qu’elle est plus détendue dans une espèce de rêve ; qu’entre ces deux plans extrêmes, le plan de l’action et le plan du rêve, il y a tous les plans intermédiaires correspondant à autant de degrés décroissants d’ « attention à la vie » et d’adaptation à la réalité[1]. Les idées que nous exposions à ce sujet furent accueillies avec une certaine réserve ; certains les jugèrent paradoxales. Elles se heurtaient, en effet, à des théories généralement admises, à la conception atomistique de la vie mentale. La psychologie s’en rapproche pourtant de plus, en plus, surtout depuis que M. Pierre Janet est arrivé de son côté, par des voies différentes, à des conclusions tout à fait conciliables avec les nôtres. C’est donc dans un abaissement du ton mental qu’on cherchera l’origine de la fausse reconnaissance. Pour M. Pierre Janet, cet abaissement produirait directement le phénomène en diminuant l’effort de synthèse qui accompagne la perception normale : celle-ci prendrait alors l’aspect d’un vague souvenir, ou d’un rêve[2]. Plus précisément, il n’y aurait ici qu’un de

  1. Matière et Mémoire, Paris, 1896, en particulier p. 184-195.
  2. P. Janet, Les obsessions et la psychasthénie, vol. I, Paris, 1903, p. 287 et suiv. Cf. « À propos du déjà vu », Journal de psychologie, vol. II, 1905, p. 289-307.