Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/174

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en principe, que ce qui peut concourir à l’action. Le souvenir du présent fait effort comme les autres ; il est d’ailleurs plus près de nous que les autres ; penché sur notre perception du présent, il est toujours sur le point d’y entrer. La perception n’échappe que par un mouvement continuel en avant, qui maintient l’écart. En d’autres termes, un souvenir ne s’actualise que par l’intermédiaire d’une perception : le souvenir du présent pénétrerait donc dans la conscience s’il pouvait s’insinuer dans la perception du présent. Mais celle-ci est toujours en avance sur lui : grâce à l’élan qui l’anime, elle est moins dans le présent que dans l’avenir. Supposons que tout à coup l’élan s’arrête : le souvenir rejoint la perception, le présent est reconnu en même temps qu’il est connu.

La fausse reconnaissance serait donc enfin la forme la plus inoffensive de l’inattention à la vie. Un abaissement constant du ton de l’attention fondamentale se traduit par des troubles psychologiques plus ou moins profonds et durables. Mais il peut arriver que cette attention se maintienne d’ordinaire à son ton normal, et que son insuffisance se manifeste d’une tout autre manière ; par des arrêts de fonctionnement, généralement très courts, espacés de loin en loin. Dès que l’arrêt se produit, la fausse reconnaissance arrive sur la conscience, la recouvre pendant quelques instants et retombe aussitôt, comme une vague.

Concluons par une dernière hypothèse, que nous faisions pressentir dès le début de notre travail. Si l’inattention à la vie peut prendre deux formes inégalement graves, n’est-on pas en droit de supposer que la seconde, plus bénigne, est un moyen de se préserver de l’autre ? Là où