Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/65

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capables d’action efficace. Disons, si vous voulez, que le cerveau est l’organe de l’attention à la vie.

C’est pourquoi il suffira d’une légère modification de la substance cérébrale pour que l’esprit tout entier paraisse atteint. Nous parlions de l’effet de certains toxiques sur la conscience, et plus généralement de l’influence de la maladie cérébrale sur la vie mentale. En pareil cas, est-ce l’esprit même qui est dérangé, ou ne serait-ce pas plutôt le mécanisme de l’insertion de l’esprit dans les choses ? Quand un fou déraisonne, son raisonnement peut être en règle avec la plus stricte logique : vous diriez, en entendant parler tel ou tel persécuté, que c’est par excès de logique qu’il pèche. Son tort n’est pas de raisonner mal, mais de raisonner à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme un homme qui rêve. Supposons, comme cela paraît vraisemblable, que la maladie soit causée par une intoxication de la substance cérébrale. Il ne faut pas croire que le poison soit allé chercher le raisonnement dans telles ou telles cellules du cerveau, ni par conséquent qu’il y ait, en tels ou tels points du cerveau, des mouvements d’atomes qui correspondent au raisonnement. Non, il est probable que c’est le cerveau tout entier qui est atteint, de même que c’est la corde tendue tout entière qui se détend, et non pas telle ou telle de ses parties, quand le nœud a été mal fait. Mais, de même qu’il suffit d’un très faible relâchement de l’amarre pour que le bateau se mette à danser sur la vague, ainsi une modification même légère de la substance cérébrale tout entière pourra faire que l’esprit, perdant contact avec l’ensemble des choses matérielles auxquelles il est ordinairement appuyé, sente la réalité se dérober sous lui, titube, et soit pris de vertige.