Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/91

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en face et de se demander ce qu’elle vaut. Je n’insisterai pas sur les difficultés théoriques qu’elle soulève. J’ai montré ailleurs qu’elle se contredit elle-même dès qu’on la prend au mot. J’ajoute que la nature n’a pas dû se donner le luxe de répéter en langage de conscience ce que l’écorce cérébrale a déjà exprimé en termes de mouvement atomique ou moléculaire. Tout organe superflu s’atrophie, toute fonction inutile s’évanouit. Une conscience qui ne serait qu’un duplicatum, et qui n’agirait pas, aurait depuis longtemps disparu de l’univers, à supposer qu’elle y eût jamais surgi : ne voyons-nous pas que nos actions deviennent inconscientes dans la mesure où l’habitude les rend machinales ? Mais je ne veux pas insister sur ces considérations théoriques. Ce que je prétends, c’est que les faits, consultés sans parti pris, ne confirment ni même ne suggèrent l’hypothèse du parallélisme.

Pour une seule faculté intellectuelle, en effet, on a pu se croire autorisé par l’expérience à parler de localisation précise dans le cerveau : je fais allusion à la mémoire, et plus spécialement à la mémoire des mots. Ni pour le jugement, ni pour le raisonnement, ni pour aucun autre acte de pensée nous n’avons la moindre raison de les supposer attachés à des mouvements intra-cérébraux dont ils dessineraient la trace. Au contraire, les maladies de la mémoire des mots — ou, comme on dit, les aphasies — correspondent à la lésion de certaines circonvolutions cérébrales : de sorte qu’on a pu considérer la mémoire comme une simple fonction du cerveau et croire que les souvenirs visuels, auditifs, moteurs des mots étaient déposés à l’intérieur de l’écorce — clichés photographiques qui conserveraient des impressions lumineuses, disques phonogra-