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L’INTELLIGENCE ET L’INSTINCT

che plutôt qu’à l’épanouissement de l’intelligence. C’est encore l’instinct qui forme le substrat de leur activité psychique, mais l’intelligence est là, qui aspire à le supplanter. Elle n’arrive pas à inventer des instruments : du moins s’y essaie-t-elle en exécutant le plus de variations possible sur l’instinct, dont elle voudrait se passer. Elle ne prend tout à fait possession d’elle-même que chez l’homme, et ce triomphe s’affirme par l’insuffisance même des moyens naturels dont l’homme dispose pour se défendre contre ses ennemis, contre le froid et la faim. Cette insuffisance, quand on cherche à en déchiffrer le sens, acquiert la valeur d’un document préhistorique : c’est le congé définitif que l’instinct reçoit de l’intelligence. Il n’en est pas moins vrai que la nature a dû hésiter entre deux modes d’activité psychique, l’un assuré du succès immédiat, mais limité dans ses effets, l’autre aléatoire, mais dont les conquêtes, s’il arrivait à l’indépendance, pouvaient s’étendre indéfiniment. Le plus grand succès fut d’ailleurs remporté, ici encore, du côté où était le plus gros risque. Instinct et intelligence représentent donc deux solutions divergentes, également élégantes, d’un seul et même problème.

De là, il est vrai, des différences profondes de structure interne entre l’instinct et l’intelligence. Nous n’insisterons que sur celles qui intéressent notre présente étude. Disons donc que l’intelligence et l’instinct impliquent deux espèces de connaissance radicalement différentes. Mais quelques éclaircissements sont d’abord nécessaires au sujet de la conscience en général.

On s’est demandé jusqu’à quel point l’instinct est conscient. Nous répondrons qu’il y a ici une multitude de différences et de degrés, que l’instinct est plus ou moins conscient dans certains cas, inconscient dans d’autres. La plante, comme nous le verrons, a des instincts : il est dou-