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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

faire que par l’addition progressive de pièces nouvelles, en quelque sorte, que des accidents heureux viendraient engrener dans les anciennes. Or il est évident que, dans la plupart des cas, ce n’est pas par voie de simple accroissement que l’instinct a pu se perfectionner : chaque pièce nouvelle exigeait, en effet, sous peine de tout gâter, un remaniement complet de l’ensemble. Comment attendre du hasard un pareil remaniement ? J’accorde qu’une modification accidentelle du germe se transmettra héréditairement et pourra attendre, en quelque sorte, que de nouvelles modifications accidentelles viennent la compliquer. J’accorde aussi que la sélection naturelle éliminera toutes celles des formes plus compliquées qui ne seront pas viables. Encore faudra-t-il, pour que la vie de l’instinct évolue, que des complications viables se produisent. Or elles ne se produiront que si, dans certains cas, l’addition d’un élément nouveau amène le changement corrélatif de tous les éléments anciens. Personne ne soutiendra que le hasard puisse accomplir un pareil miracle. Sous une forme ou sous une autre, on fera appel à l’intelligence. On supposera que c’est par un effort plus ou moins conscient que l’être vivant développe en lui un instinct supérieur. Mais il faudra admettre alors qu’une habitude contractée peut devenir héréditaire, et qu’elle le devient de façon assez régulière pour assurer une évolution. La chose est douteuse, pour ne pas dire davantage. Même si l’on pouvait rapporter à une habitude héréditairement transmise et intelligemment acquise les instincts des animaux, on ne voit pas comment ce mode d’explication s’étendrait au monde végétal, où l’effort n’est jamais intelligent, à supposer qu’il soit quelquefois conscient. Et pourtant, à voir avec quelle sûreté et quelle précision les plantes grimpantes utilisent leurs vrilles,