Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
MÉTHODE À SUIVRE

Ce noyau ne diffère pas radicalement du fluide qui l’enveloppe. Il ne s’y résorbera que parce qu’il est fait de la même substance. Celui qui se jette à l’eau, n’ayant jamais connu que la résistance de la terre ferme, se noierait tout de suite s’il ne se débattait pas contre la fluidité du nouveau milieu ; force lui est de se cramponner à ce que l’eau lui présente encore, pour ainsi dire, de solidité. À cette condition seulement on finit par s’accommoder au fluide dans ce qu’il a d’inconsistant. Ainsi pour notre pensée, quand elle s’est décidée à faire le saut.

Mais il faut qu’elle saute, c’est-à-dire qu’elle sorte de son milieu. Jamais la raison, raisonnant sur ses pouvoirs, n’arrivera à les étendre, encore que cette extension n’apparaisse pas du tout comme déraisonnable une fois accomplie. Vous aurez beau exécuter mille et mille variations sur le thème de la marche, vous ne tirerez pas de là une règle pour nager. Entrez dans l’eau, et, quand vous saurez nager, vous comprendrez que le mécanisme de la natation se rattache à celui de la marche. Le premier prolonge le second, mais le second ne vous eût pas introduit dans le premier. Ainsi, vous pourrez spéculer aussi intelligemment que vous voudrez sur le mécanisme de l’intelligence, vous n’arriverez jamais, par cette méthode, à le dépasser. Vous obtiendrez du plus compliqué, mais non pas du supérieur ou même simplement du différent. Il faut brusquer les choses, et, par un acte de volonté, pousser l’intelligence hors de chez elle.

Le cercle vicieux n’est donc qu’apparent. Il est au contraire réel, croyons-nous, avec toute autre manière de philosopher. C’est ce que nous voudrions montrer en quelques mots, quand ce ne serait que pour prouver que la philosophie ne peut pas, ne doit pas accepter la relation établie par le pur intellectualisme entre la théorie de la connais-