Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

géométrie latente, immanente à notre représentation de l’espace, qui est le grand ressort de notre intelligence et qui la fait marcher. On s’en convaincra en considérant les deux fonctions essentielles de l’intelligence, la faculté de déduire et celle d’induire.

Commençons par la déduction. Le même mouvement par lequel je trace une figure dans l’espace en engendre les propriétés elles sont visibles et tangibles dans ce mouvement même ; je sens, je vis dans l’espace le rapport de la définition à ses conséquences, des prémisses à la conclusion. Tous les autres concepts dont l’expérience me suggère l’idée ne sont qu’en partie reconstituables a priori, la définition en sera donc imparfaite, et les déductions où entreront ces concepts, si rigoureusement qu’on enchaîne la conclusion aux prémisses, participeront de cette imperfection. Mais lorsque je trace grossièrement sur le sable la base d’un triangle, et que je commence à former les deux angles à la base, je sais d’une manière certaine et je comprends absolument que, si ces deux angles sont égaux, les côtés le seront aussi, la figure pouvant alors se retourner sur elle-même sans que rien s’y trouve changé. Je le sais, bien avant d’avoir appris la géométrie. Ainsi, antérieurement à la géométrie savante, il y a une géométrie naturelle dont la clarté et l’évidence dépassent celles des autres déductions. Celles-ci portent sur des qualités et non plus sur des grandeurs. Elles se forment donc sans doute sur le modèle des premières, et doivent emprunter leur force à ce que, sous la qualité, nous voyons confusément la grandeur transparaître. Remarquons que les questions de situation et de grandeur sont les premières qui se posent à notre activité, celles que l’intelligence extériorisée en action résout avant même qu’ait paru l’intelligence réfléchie : le sauvage s’en-