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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

personne à des moments différents, des actes profondément différents, quoique également raisonnables. À vrai dire, ce ne sont pas tout à fait les mêmes raisons, puisque ce ne sont pas celles de la même personne, ni du même moment. C’est pourquoi l’on ne peut pas opérer sur elles in abstracto, du dehors, comme en géométrie, ni résoudre pour autrui les problèmes que la vie lui pose. À chacun de les résoudre du dedans, pour son compte. Mais nous n’avons pas à approfondir ce point. Nous cherchons seulement quel sens précis notre conscience donne au mot « exister », et nous trouvons que, pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même. En dirait-on autant de l’existence en général ?

Un objet matériel, pris au hasard, présente les caractères inverses de ceux que nous venons d’énumérer. Ou il reste ce qu’il est, ou, s’il change sous l’influence d’une force extérieure, nous nous représentons ce changement comme un déplacement de parties qui, elles, ne changent pas. Si ces parties s’avisaient de changer, nous les fragmenterions à leur tour. Nous descendrons ainsi jusqu’aux molécules dont les fragments sont faits, jusqu’aux atomes constitutifs des molécules, jusqu’aux corpuscules générateurs des atomes, jusqu’à l’ « impondérable » au sein duquel le corpuscule se formerait par un simple tourbillonnement. Nous pousserons enfin la division ou l’analyse aussi loin qu’il le faudra. Mais nous ne nous arrêterons que devant l’immuable.

Maintenant, nous disons que l’objet composé change par le déplacement de ses parties. Mais, quand une partie a quitté sa position, rien ne l’empêche de la reprendre. Un groupe d’éléments qui a passé par un état peut donc tou-