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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

logique, entre l’état de rêve et l’état de veille. Telle a pu être la condition de la vie dans notre nébuleuse avant que la condensation de la matière fût achevée, s’il est vrai que la vie prenne son essor au moment même où, par l’effet d’un mouvement inverse, la matière nébulaire apparaît.

On conçoit donc que la vie eût pu revêtir un tout autre aspect extérieur et dessiner des formes très différentes de celles que nous lui connaissons. Avec un autre substrat chimique, dans d’autres conditions physiques, l’impulsion fût restée la même, mais elle se fût scindée bien différemment en cours de route et, dans l’ensemble, un autre chemin eût été parcouru, — moins de chemin peut-être, peut-être aussi davantage. En tout cas, de la série entière des vivants, aucun terme n’eût été ce qu’il est. Maintenant, était-il nécessaire qu’il y eût une série et des termes ? Pourquoi l’élan unique ne se serait-il pas imprimé à un corps unique, qui eût évolué indéfiniment ?

Cette question se pose, sans doute, quand on compare la vie à un élan. Et il faut la comparer à un élan, parce qu’il n’y a pas d’image, empruntée au monde physique, qui puisse en donner plus approximativement l’idée. Mais ce n’est qu’une image. La vie est en réalité d’ordre psychologique, et il est de l’essence du psychique d’envelopper une pluralité confuse de termes qui s’entrepénètrent. Dans l’espace, et dans l’espace seul, sans aucun doute, est possible la multiplicité distincte : un point est absolument extérieur à un autre point. Mais l’unité pure et vide ne se rencontre, elle aussi, que dans l’espace : c’est celle d’un point mathématique. Unité et multiplicité abstraites sont, comme on voudra, des déterminations de l’espace ou des catégories de l’entendement, spatialité et intellectualité étant calquées l’une sur l’autre. Mais ce qui est de nature psychologique ne saurait s’appliquer exactement sur l’es-