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BIOLOGIE ET PHILOSOPHIE

ce qui s’en est détaché par voie de descendance divergente : en ce sens, on peut dire qu’il reste uni à la totalité des vivants par d’invisibles liens. C’est donc en vain qu’on prétend rétrécir la finalité à l’individualité de l’être vivant. S’il y a de la finalité dans le monde de la vie, elle embrasse la vie entière dans une seule indivisible étreinte. Cette vie commune à tous les vivants présente, sans aucun doute, bien des incohérences et bien des lacunes, et d’autre part elle n’est pas si mathématiquement une qu’elle ne puisse laisser chaque vivant s’individualiser dans une certaine mesure. Elle n’en forme pas moins un seul tout ; et il faut opter entre la négation pure et simple de la finalité et l’hypothèse qui coordonne, non seulement les parties d’un organisme à l’organisme lui-même, mais encore chaque être vivant à l’ensemble des autres.

Ce n’est pas en pulvérisant la finalité qu’on la fera passer plus facilement. Ou l’hypothèse d’une finalité immanente à la vie doit être rejetée en bloc, ou c’est dans un tout autre sens, croyons-nous, qu’il faut la modifier.


L’erreur du finalisme radical, comme d’ailleurs celle du mécanisme radical, est d’étendre trop loin l’application de certains concepts naturels à notre intelligence. Originellement, nous ne pensons que pour agir. C’est dans le moule de l’action que notre intelligence a été coulée. La spéculation est un luxe, tandis que l’action est une nécessité. Or, pour agir, nous commençons par nous proposer un but ; nous faisons un plan, puis nous passons au détail du mécanisme qui le réalisera. Cette dernière opération n’est possible que si nous savons sur quoi nous pouvons compter. Il faut que nous ayons extrait, de la nature,