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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

qui ont été autant de créations. C’est ce développement même qui a amené à se dissocier des tendances qui ne pouvaient croître au delà d’un certain point sans devenir incompatibles entre elles. À la rigueur, rien n’empêcherait d’imaginer un individu unique en lequel, par suite de transformations réparties sur des milliers de siècles, se serait effectuée l’évolution de la vie. Ou encore, à défaut d’un individu unique, on pourrait supposer une pluralité d’individus se succédant en une série unilinéaire. Dans les deux cas l’évolution n’aurait eu, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’une seule dimension. Mais l’évolution s’est faite en réalité par l’intermédiaire de millions d’individus sur des lignes divergentes, dont chacune aboutissait elle-même à un carrefour d’où rayonnaient de nouvelles voies, et ainsi de suite indéfiniment. Si notre hypothèse est fondée, si les causes essentielles qui travaillent le long de ces divers chemins sont de nature psychologique, elles doivent conserver quelque chose de commun en dépit de la divergence de leurs effets, comme des camarades séparés depuis longtemps gardent les mêmes souvenirs d’enfance. Des bifurcations ont eu beau se produire, des voies latérales s’ouvrir où les élément dissociés se déroulaient d’une manière indépendante ; ce n’en est pas moins par l’élan primitif du tout que se continue le mouvement des parties. Quelque chose du tout doit donc subsister dans les parties. Et cet élément commun pourra se rendre sensible aux yeux d’une certaine manière, peut-être par la présence d’organes identiques dans des organismes très différents. Supposons, un instant, que le mécanisme soit la vérité : l’évolution se sera faite par une série d’accidents s’ajoutant les uns aux autres, chaque accident nouveau se conservant par sélection s’il est avantageux à cette somme d’accidents avantageux antérieurs que représente la forme