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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

ment des complications antérieures ? Comment surtout supposer que, par une série de simples « accidents », ces variations brusques se soient produites les mêmes, dans le même ordre, impliquant chaque fois un accord parfait d’éléments de plus en plus nombreux et complexes, le long de deux lignes d’évolution indépendantes ?

On invoquera, il est vrai, la loi de corrélation, à laquelle faisait déjà appel Darwin lui-même[1]. On alléguera qu’un changement n’est pas localisé en un point unique de l’organisme, qu’il a sur d’autres points sa répercussion nécessaire. Les exemples cités par Darwin sont restés classiques : les chats blancs qui ont les yeux bleus sont généralement sourds, les chiens dépourvus de poils ont la dentition imparfaite, etc. Soit, mais ne jouons pas maintenant sur le sens du mot « corrélation ». Autre chose est un ensemble de changements solidaires, autre chose un système de changements complémentaires, c’est-à-dire coordonnés les uns aux autres de manière à maintenir et même à perfectionner le fonctionnement d’un organe dans des conditions plus compliquées. Qu’une anomalie du système pileux s’accompagne d’une anomalie de la dentition, il n’y a rien là qui appelle un principe d’explication spécial : poils et dents sont des formations similaires[2], et la même altération chimique du germe qui entrave la formation des poils doit sans doute gêner celle des dents. C’est probablement à des causes du même genre qu’il faut attribuer la surdité des chats blancs aux yeux bleus. Dans ces divers exemples, les changements « corrélatifs » ne sont que des changements solidaires,

  1. Origine des espèces, p. 11 et 12.
  2. Sur cette homologie des poils et des dents, voir Brandt, Ueber… eine mutmassliche Homologie der Haare und Zühne (Biol. Centralblatt, vol. XVIII, 1898), surtout p. 262 et suiv.