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L’ORTHOGENÈSE

cas de la formation graduelle de l’œil des Vertébrés, par exemple, il faudra supposer que la physico-chimie de l’organisme est telle, ici, que l’influence de la lumière lui ait fait construire une série progressive d’appareils visuels, tous extrêmement complexes, tous pourtant capables de voir, et voyant de mieux en mieux[1]. Que dirait de plus, pour caractériser cette physico-chimie toute spéciale, le partisan le plus résolu de la doctrine de la finalité ? Et la position d’une philosophie mécanistique ne deviendra-t-elle pas bien plus difficile encore, quand on lui aura fait remarquer que l’œuf d’un Mollusque ne peut pas avoir la même composition chimique que celui d’un Vertébré, que la substance organique qui a évolué vers la première des deux formes n’a pas pu être chimiquement identique à celle qui a pris l’autre direction, que néanmoins, sous l’influence de la lumière, c’est le même organe qui s’est construit dans les deux cas ?

Plus on y réfléchira, plus on verra combien cette production du même effet par deux accumulations diverses d’un nombre énorme de petites causes est contraire aux principes invoqués par la philosophie mécanistique. Nous avons concentré tout l’effort de notre discussion sur un exemple tiré de la phylogenèse. Mais l’ontogenèse nous aurait fourni des faits non moins probants. À chaque instant, sous nos yeux, la nature aboutit à des résultats identiques, chez des espèces quelquefois voisines les unes des autres, par des processus embryogéniques tout différents. Les observations d’ « hétéroblastie » se sont multipliées dans ces dernières années[2], et il a fallu renoncer à la théorie presque clas-

  1. Eimer, Ibid., p. 165 et suiv.
  2. Salensky, Hétéroblastie (Proc. of the fourth international Congress of Zoology, London, 1899, p. 111-118). Salensky a crée ce mot pour désigner