Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/100

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quer des choses et de se fabriquer lui-même. Homo faber, telle est la définition que nous proposons. L’Homo sapiens, né de la réflexion de l’Homo faber sur sa fabrication, nous paraît tout aussi digne d’estime tant qu’il résout par la pure intelligence les problèmes qui ne dépendent que d’elle : dans le choix de ces problèmes un philosophe peut se tromper, un autre philosophe le détrompera ; tous deux auront travaillé de leur mieux ; tous deux pourront mériter notre reconnaissance et notre admiration. Homo faber, Homo sapiens, devant l’un et l’autre, qui tendent d’ailleurs à se confondre ensemble, nous nous inclinons. Le seul qui nous soit antipathique est l’Homo loquax, dont la pensée, quand il pense, n’est qu’une réflexion sur sa parole.

À le former et à le perfectionner tendaient jadis les méthodes d’enseignement. N’y tendent-elles pas un peu encore ? Certes, le défaut est moins accusé chez nous que chez d’autres. Nulle part plus qu’en France le maître ne provoque l’initiative de l’étudiant, voire de l’écolier. Pourtant il nous reste encore beaucoup à faire. Je n’ai pas à parler ici du travail manuel, du rôle qu’il pourrait jouer à l’école. On est trop porté à n’y voir qu’un délassement. On oublie que l’intelligence est essentiellement la faculté de manipuler la matière, qu’elle commença du moins ainsi, que telle était l’intention de la nature. Comment alors l’intelligence ne profiterait-elle pas de l’éducation de la main ? Allons plus loin. La main de l’enfant s’essaie naturellement à construire. En l’y aidant, en lui fournissant au moins des occasions, on obtiendrait plus tard de l’homme fait un rendement supérieur ; on accroîtrait singulièrement ce qu’il y a d’inventivité dans le monde. Un savoir tout de suite livresque comprime et supprime des activités qui ne demandaient qu’à prendre leur essor. Exerçons donc l’enfant au