Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/105

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en perception les oscillations de la matière, et en concepts l’écoulement des choses ? Sans doute, dans le cadre rigide des institutions, soutenue par cette rigidité même, la société évolue. Même, le devoir de l’homme d’État est de suivre ces variations et de modifier l’institution quand il en est encore temps : sur dix erreurs politiques, il y en a neuf qui consistent simplement à croire encore vrai ce qui a cessé de l’être. Mais la dixième, qui pourra être la plus grave, sera de ne plus croire vrai ce qui l’est pourtant encore. D’une manière générale, l’action exige un point d’appui solide, et l’être vivant tend essentiellement à l’action efficace. C’est pourquoi nous avons vu dans une certaine stabilisation des choses la fonction primordiale de la conscience. Installée sur l’universelle mobilité, disions-nous, la conscience contracte dans une vision quasi instantanée une histoire immensément longue qui se déroule en dehors d’elle. Plus haute est la conscience, plus forte est cette tension de sa durée par rapport à celle des choses.


Tension, concentration, tels sont les mots par lesquels nous caractérisions une méthode qui requiert de l’esprit, pour chaque nouveau problème, un effort entièrement nouveau. Nous n’aurions jamais pu tirer de notre livre Matière et mémoire, qui précéda L’évolution créatrice, une véritable doctrine d’évolution (ce n’en eût été que l’apparence) ; ni de notre Essai sur les données immédiates de la conscience une théorie des rapports de l’âme et du corps comme celle que nous exposâmes ensuite dans Matière et mémoire (nous n’aurions eu qu’une construction hypothétique), ni de la pseudo-philosophie à laquelle nous étions attaché avant les Données immédiates — c’est-à-dire des notions générales emmagasinées dans le langage — les conclusions sur la