Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/201

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Telle est pourtant l’entreprise des philosophes qui cherchent à recomposer la personne avec des états psychologiques, soit qu’ils s’en tiennent aux états eux-mêmes, soit qu’ils ajoutent un fil destiné à rattacher les états entre eux. Empiristes et rationalistes sont dupes ici de la même illusion. Les uns et les autres prennent les notations partielles pour des parties réelles, confondant ainsi le point de vue de l’analyse et celui de l’intuition, la science et la métaphysique.

Les premiers disent avec raison que l’analyse psychologique ne découvre rien de plus, dans la personne, que des états psychologiques. Et telle est en effet la fonction, telle est la définition même de l’analyse. Le psychologue n’a pas autre chose à faire qu’à analyser la personne, c’est-à-dire à noter des états : tout au plus mettra-t-il la rubrique « moi » sur ces états en disant que ce sont des « états du moi », de même que le dessinateur écrit le mot « Paris » sur chacun de ses croquis. Sur le terrain où le psychologue se place, et où il doit se placer, le « moi » n’est qu’un signe par lequel on rappelle l’intuition primitive (très confuse d’ailleurs) qui a fourni à la psychologie son objet : ce n’est qu’un mot, et la grande erreur est de croire qu’on pourrait, en restant sur le même terrain, trouver derrière le mot une chose. Telle a été l’erreur de ces philosophes qui n’ont pu se résigner à être simplement psychologues en psychologie, Taine et Stuart Mill, par exemple. Psychologues par la méthode qu’ils appliquent, ils sont restés métaphysiciens par l’objet qu’ils se proposent. Ils voudraient une intuition, et, par une étrange inconséquence, ils demandent cette intuition à l’analyse, qui en est la négation même. Ils cherchent le moi, et prétendent le trouver dans les états psychologiques, alors qu’on n’a pu obtenir cette diversité d’états psychologiques qu’en se transportant hors du moi pour prendre sur la