Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/229

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ne lui montre alors que des cadres emboîtés dans des cadres, et la seconde des fantômes qui courent après des fantômes ?

Il a porté à notre science et à notre métaphysique des coups si rudes qu’elles ne sont pas encore tout à fait revenues de leur étourdissement. Volontiers notre esprit se résignerait à voir dans la science une connaissance toute relative, et dans la métaphysique une spéculation vide. Il nous semble, aujourd’hui encore, que la critique kantienne s’applique à toute métaphysique et à toute science. En réalité, elle s’applique surtout à la philosophie des anciens, comme aussi à la forme — encore antique — que les modernes ont laissée le plus souvent à leur pensée. Elle vaut contre une métaphysique qui prétend nous donner un système unique et tout fait de choses, contre une science qui serait un système unique de relations, enfin contre une science et une métaphysique qui se présenteraient avec la simplicité architecturale de la théorie platonicienne des Idées, ou d’un temple grec. Si la métaphysique prétend se constituer avec des concepts que nous possédions avant elle, si elle consiste dans un arrangement ingénieux d’idées préexistantes que nous utilisons comme des matériaux de construction pour un édifice, enfin si elle est autre chose que la constante dilatation de notre esprit, l’effort toujours renouvelé pour dépasser nos idées actuelles et peut-être aussi notre logique simple, il est trop évident qu’elle devient artificielle comme toutes les œuvres de pur entendement. Et si la science est tout entière œuvre d’analyse ou de représentation conceptuelle, si l’expérience n’y doit servir que de vérification à des « idées claires », si, au lieu de partir d’intuitions multiples, diverses, qui s’insèrent dans le mouvement propre de chaque réalité mais ne s’emboîtent pas toujours les unes dans les