Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/233

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écoles, c’est-à-dire, en somme, entre les groupes de disciples qui se sont formés autour de quelques grands maîtres. Mais les trouverait-on aussi tranchées entre les maîtres eux-mêmes ? Quelque chose domine ici la diversité des systèmes, quelque chose, nous le répétons, de simple et de net comme un coup de sonde dont on sent qu’il est allé toucher plus ou moins bas le fond d’un même océan, encore qu’il ramène chaque fois à la surface des matières très différentes. C’est sur ces matières que travaillent d’ordinaire les disciples : là est le rôle de l’analyse. Et le maître, en tant qu’il formule, développe, traduit en idées abstraites ce qu’il apporte, est déjà, en quelque sorte, un disciple vis-à-vis de lui-même. Mais l’acte simple, qui a mis l’analyse en mouvement et qui se dissimule derrière l’analyse, émane d’une faculté tout autre que celle d’analyser. Ce sera, par définition même, l’intuition.

Disons-le pour conclure : cette faculté n’a rien de mystérieux. Quiconque s’est exercé avec succès à la composition littéraire sait bien que lorsque le sujet a été longuement étudié, tous les documents recueillis, toutes les notes prises, il faut, pour aborder le travail de composition lui-même, quelque chose de plus, un effort, souvent pénible, pour se placer tout d’un coup au cœur même du sujet et pour aller chercher aussi profondément que possible une impulsion à laquelle il n’y aura plus ensuite qu’à se laisser aller. Cette impulsion, une fois reçue, lance l’esprit sur un chemin où il retrouve et les renseignements qu’il avait recueillis et d’autres détails encore ; elle se développe, elle s’analyse elle-même en termes dont l’énumération se poursuivrait sans fin ; plus on va, plus on en découvre ; jamais on n’arrivera à tout dire : et pourtant, si l’on se retourne brusquement vers l’impulsion qu’on sent derrière soi pour la saisir, elle