Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/270

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Quicherat[1] se trouve cette phrase : « Je n’ai connu en France que quatre esprits critiques (peu de gens savent tout ce que contient ce mot) : Letronne, Burnouf, Ravaisson, et vous. » M. Ravaisson se trouva donc en relation avec des maîtres illustres, à un moment où le haut enseignement brillait d’un vif éclat. Il faut ajouter que cette même époque vit s’opérer un rapprochement entre hommes politiques, artistes, lettrés, savants, tous ceux enfin qui auraient pu constituer, dans une société à tendance déjà démocratique, une aristocratie de l’intelligence. Quelques salons privilégiés étaient le rendez-vous de cette élite. M. Ravaisson aimait le monde. Tout jeune, peu connu encore, il voyait, grâce à sa parenté avec l’ancien ministre Mollien, s’ouvrir devant lui bien des portes. Nous savons qu’il fréquenta chez la princesse Belgiojoso, où il dut rencontrer Mignet, Thiers, et surtout Alfred de Musset ; chez Mme Récamier, déjà âgée alors, mais gracieuse toujours, et groupant autour d’elle des hommes tels que Villemain, Ampère, Balzac, Lamartine : c’est dans le salon de Mme Récamier, sans doute, qu’il fit la connaissance de Chateaubriand. Un contact fréquent avec tant d’hommes supérieurs devait agir sur l’intelligence comme un stimulant.

Il faudrait tenir compte aussi d’un séjour de quelques semaines que M. Ravaisson fit en Allemagne, à Munich, auprès de Schelling. On trouve dans l’œuvre de M. Ravaisson plus d’une page qui pourrait se comparer, pour la direction de la pensée comme pour l’allure du style, à ce qui a été écrit de meilleur par le philosophe allemand. Encore ne faudrait-il pas exagérer l’influence de Schelling. Peut-être y eut-il moins influence qu’affinité naturelle, communauté d’inspiration et, si l’on peut parler ainsi, accord préétabli

  1. Citée par M. Louis Leger.