Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/54

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N’attendez pas de cette métaphysique des conclusions simples ou des solutions radicales. Ce serait lui demander encore de s’en tenir à une manipulation de concepts. Ce serait aussi la laisser dans la région du pur possible. Sur le terrain de l’expérience, au contraire, avec des solutions incomplètes et des conclusions provisoires, elle atteindra une probabilité croissante qui pourra équivaloir finalement à la certitude. Prenons un problème que nous poserons dans les termes de la métaphysique traditionnelle : l’âme survit-elle au corps ? Il est facile de le trancher en raisonnant sur de purs concepts. On définira donc l’âme. On dira, avec Platon, qu’elle est une et simple. On en conclura qu’elle ne peut se dissoudre. Donc elle est immortelle. Voilà qui est net. Seulement, la conclusion ne vaut que si l’on accepte la définition, c’est-à-dire la construction. Elle est subordonnée à cette hypothèse. Elle est hypothétique. Mais renonçons à construire l’idée d’âme comme on construit l’idée de triangle. Étudions les faits. Si l’expérience établit, comme nous le croyons, qu’une petite partie seulement de la vie consciente est conditionnée par le cerveau, il s’ensuivra que la suppression du cerveau laisse vraisemblablement subsister la vie consciente. Du moins la charge de la preuve incombera-t-elle maintenant à celui qui nie la survivance, bien plus qu’à celui qui l’affirme. Il ne s’agira que de survie, je le reconnais ; il faudrait d’autres raisons, tirées cette fois de la religion, pour arriver à une précision plus haute et pour attribuer à cette survie une durée sans fin. Mais, même du point de vue purement philosophique, il n’y aura plus de si : on affirmera catégoriquement — je veux dire sans subordination à une hypothèse métaphysique — ce qu’on affirme, dût-on ne l’affirmer que comme probable. La première thèse avait la beauté du définitif, mais elle était suspendue