Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/72

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absolue des Idées en général, peut-être même à leur divinité, vient en partie de là. On sait quel rôle elle joue dans la philosophie antique, et même dans la nôtre. Toutes les idées générales bénéficient de l’objectivité de certaines d’entre elles. Ajoutons que la fabrication humaine ne s’exerce pas seulement sur la matière. Une fois en possession des trois espèces d’idées générales que nous avons énumérées, surtout de la dernière, notre intelligence tient ce que nous appelions l’idée générale d’idée générale. Elle peut alors construire des idées générales comme il lui plaît. Elle commence naturellement par celles qui peuvent le mieux favoriser la vie sociale, ou simplement qui se rapportent à la vie sociale ; puis viendront celles qui intéressent la spéculation pure ; et enfin celles que l’on construit pour rien, pour le plaisir. Mais, pour presque tous les concepts qui n’appartiennent pas à nos deux premières catégories, c’est-à-dire pour l’immense majorité des idées générales, c’est l’intérêt de la société avec celui des individus, ce sont les exigences de la conversation et de l’action, qui président à leur naissance.


Fermons cette trop longue parenthèse, qu’il fallait ouvrir pour montrer dans quelle mesure il y a lieu de réformer et parfois d’écarter la pensée conceptuelle pour venir à une philosophie plus intuitive. Cette philosophie, disions-nous, détournera le plus souvent de la vision sociale de l’objet déjà fait : elle nous demandera de participer en esprit à l’acte qui le fait. Elle nous replacera donc, sur ce point particulier, dans la direction du divin. Est proprement humain, en effet, le travail d’une pensée individuelle qui accepte, telle quelle, son insertion dans la pensée sociale, et qui utilise les idées préexistantes comme tout autre outil fourni par la communauté. Mais il y a déjà quelque