Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/85

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s’abstenir de toute représentation imagée de l’atome, du corpuscule, de l’élément ultime quel qu’il fût : c’était pourtant une chose servant de support à des mouvements et à des changements, et par conséquent en elle-même ne changeant pas, par elle-même ne se mouvant pas. Tôt ou tard, pensions-nous, il faudrait renoncer à l’idée de support. Nous en dîmes un mot dans notre premier livre : c’est à des « mouvements de mouvements » que nous aboutissions, sans pouvoir d’ailleurs préciser davantage notre pensée[1]. Nous cherchâmes une approximation un peu plus grande dans l’ouvrage suivant[2]. Nous allâmes plus loin encore dans nos conférences sur « la perception du changement »[3]. La même raison qui devait nous faire écrire plus tard que « l’évolution ne saurait se reconstituer avec des fragments de l’évolué » nous donnait à penser que le solide doit se résoudre en tout autre chose que du solide. L’inévitable propension de notre esprit à se représenter l’élément comme fixe était légitime dans d’autres domaines, puisque c’est une exigence de l’action : justement pour cette raison, la spéculation devait ici se tenir en garde contre elle. Mais nous ne pouvions qu’attirer l’attention sur ce point. Tôt ou tard, pensions-nous, la physique serait amenée à voir dans la fixité de l’élément une forme de la mobilité. Ce jour-là, il est vrai, la science renoncerait probablement à en chercher une représentation imagée, l’image d’un mouvement étant celle d’un point (c’est-à-dire toujours d’un minuscule solide) qui se meut. Par le fait, les grandes découvertes théoriques de ces dernières années ont amené les physiciens à supposer

  1. Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 1889, p. 156.
  2. Matière et mémoire, Paris, 1896, surtout les p. 221-228. Cf. tout le chapitre IV, et en particulier la p. 233.
  3. La perception du changement, Oxford, 1911 (conférences reproduites dans le présent volume).