Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/93

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elle-même. Vague au début, parce qu’elle n’était qu’un pressentiment de la matière, elle se dessine d’autant plus nettement elle-même qu’elle connaît la matière plus précisément. Mais, précise ou vague, elle est l’attention que l’esprit prête à la matière. Comment donc l’esprit serait-il encore intelligence quand il se retourne sur lui-même ? On peut donner aux choses le nom qu’on veut, et je ne vois pas grand inconvénient, je le répète, à ce que la connaissance de l’esprit par l’esprit s’appelle encore intelligence, si l’on y tient. Mais il faudra spécifier alors qu’il y a deux fonctions intellectuelles, inverses l’une de l’autre, car l’esprit ne pense l’esprit qu’en remontant la pente des habitudes contractées au contact de la matière, et ces habitudes sont ce qu’on appelle couramment les tendances intellectuelles. Ne vaut-il pas mieux alors désigner par un autre nom une fonction qui n’est certes pas ce qu’on appelle ordinairement intelligence ? Nous disons que c’est de l’intuition. Elle représente l’attention que l’esprit se prête à lui-même, par surcroît, tandis qu’il se fixe sur la matière, son objet. Cette attention supplémentaire peut être méthodiquement cultivée et développée. Ainsi se constituera une science de l’esprit, une métaphysique véritable, qui définira l’esprit positivement au lieu de nier simplement de lui tout ce que nous savons de la matière. En comprenant ainsi la métaphysique, en assignant à l’intuition la connaissance de l’esprit, nous ne retirons rien à l’intelligence, car nous prétendons que la métaphysique qui était œuvre d’intelligence pure éliminait le temps, que dès lors elle niait l’esprit ou le définissait par des négations : cette connaissance toute négative de l’esprit, nous la laisserons volontiers à l’intelligence si l’intelligence tient à la garder ; nous prétendons seulement qu’il y en a une autre. Sur aucun point, donc, nous ne diminuons