Page:Bergson - Le Rire.djvu/35

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allaient jusqu’au bout de leur grimace. Il devine, sous les harmonies superficielles de la forme, les révoltes profondes de la matière. Il réalise des disproportions et des déformations qui ont dû exister dans la nature à l’état de velléité, mais qui n’ont pu aboutir, refoulées par une force meilleure. Son art, qui a quelque chose de diabolique, relève le démon qu’avait terrassé l’ange. Sans doute c’est un art qui exagère, et pourtant on le définit très mal quand on lui assigne pour but une exagération, car il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits, des caricatures où l’exagération est à peine sensible, et inversement on peut exagérer à outrance sans obtenir un véritable effet de caricature. Pour que l’exagération soit comique, il faut qu’elle n’apparaisse pas comme le but, mais comme un simple moyen dont le dessinateur se sert pour rendre manifestes à nos yeux les contorsions qu’il voit se préparer dans la nature. C’est cette contorsion qui importe, c’est elle qui intéresse. Et voilà pourquoi on ira la chercher jusque dans les éléments de la physionomie qui sont incapables de mouvement, dans la courbure d’un