Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/102

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aboutiraient à l’un quelconque de ces systèmes de maximes, puisque chacun d’eux vise à la réalisation d’une fin qui est à la fois individuelle et sociale. Chacun de ces systèmes préexiste donc dans l’atmosphère sociale à la venue du philosophe ; il comprend des maximes qui se rapprochent suffisamment par leur contenu de celles que le philosophe formulera, et qui sont, elles, obligatoires. Retrouvées par la philosophie, mais non plus sous la forme d’un commandement puisque ce ne sont plus que des recommandations en vue de la poursuite intelligente d’une fin que l’intelligence pourrait aussi bien rejeter, elles sont happées par la maxime plus vague, ou même simplement virtuelle, qui y ressemble, mais qui est chargée d’obligation. Elles deviennent ainsi obligatoires ; mais l’obligation n’est pas descendue, comme on pourrait le croire, d’en haut, c’est-à-dire du principe d’où des maximes ont été rationnellement déduites ; elle est remontée d’en bas, je veux dire du fond de pressions, prolongeable en aspirations, sur lequel la société repose. Bref, les théoriciens de la morale postulent la société et par conséquent les deux forces auxquelles la société doit sa stabilité et son mouvement. Profitant de ce que toutes les fins sociales se compénètrent et de ce que chacune d’elles, posée en quelque sorte sur cet équilibre et sur ce mouvement, semble se doubler de ces deux forces, ils n’ont pas de peine à reconstituer le contenu de la morale avec l’une quelconque des fins prise pour principe, et à montrer alors que cette morale est obligatoire. C’est qu’ils se sont donné par avance, avec la société, la matière de cette morale et sa forme, tout ce qu’elle contient et toute l’obligation dont elle s’enveloppe.

En creusant maintenant sous cette illusion commune à toutes les morales théoriques, voici ce qu’on trouverait.