Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/145

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complète, elle était en tout cas temporaire, dans des sociétés en mouvement, où l’intelligence finirait par apercevoir derrière l’interdiction une personne.

Nous venons d’indiquer la première fonction de la religion, celle qui intéresse directement la conservation sociale. Arrivons à l’autre. C’est pour le bien de la société que nous allons encore la voir travailler, mais indirectement, en stimulant et dirigeant les activités individuelles. Son travail sera d’ailleurs plus compliqué, et nous aurons à en énumérer les formes. Mais dans cette recherche nous ne risquons pas de nous égarer, parce que nous tenons le fil conducteur. Nous devons toujours nous dire que le domaine de la vie est essentiellement celui de l’instinct, que sur une certaine ligne d’évolution l’instinct a cédé une partie de sa place à l’intelligence, qu’une perturbation de la vie peut s’ensuivre et que la nature n’a d’autre ressource alors que d’opposer l’intelligence à l’intelligence. La représentation intellectuelle qui rétablit ainsi l’équilibre au profit de la nature est d’ordre religieux. Commençons par le cas le plus simple.

Les animaux ne savent pas qu’ils doivent mourir. Sans doute il en est parmi eux qui distinguent le mort du vivant : entendons par là que la perception du mort et celle du vivant ne déterminent pas chez eux les mêmes mouvements, les mêmes actes, les mêmes attitudes ; cela ne veut pas dire qu’ils aient l’idée générale de la mort, non plus d’ailleurs que l’idée générale de la vie, non plus qu’aucune autre idée générale, en tant du moins que représentée à l’esprit et non pas simplement jouée par le corps. Tel animal « fera le mort » pour échapper à un ennemi ; mais c’est nous qui désignons ainsi son attitude ; quant à lui, il ne bouge pas parce qu’il sent qu’en remuant il