Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/157

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garantie extra-mécanique de succès. Il est vrai que si nous imaginons ainsi des puissances amies, s’intéressant à notre réussite, la logique de l’intelligence exigera que nous posions des causes antagonistes, des puissances défavorables, pour expliquer notre échec. Cette dernière croyance aura d’ailleurs son utilité pratique ; elle stimulera indirectement notre activité en nous invitant à prendre garde. Mais ceci est du dérivé, je dirais presque du décadent. La représentation d’une force qui empêche est à peine postérieure, sans doute, à celle d’une force qui aide ; si celle-ci est naturelle, celle-là s’en tire comme une conséquence immédiate ; mais elle doit surtout proliférer dans les sociétés stagnantes comme celles que nous appelons aujourd’hui primitives, où les croyances se multiplient indéfiniment par voie d’analogie, sans égard pour leur origine. La poussée vitale est optimiste. Toutes les représentations religieuses qui sortent ici directement d’elle pourraient donc se définir de la même manière : ce sont des réactions défensives de la nature contre la représentation, par l’intelligence, d’une marge décourageante d’imprévu entre l’initiative prise et l’effet souhaité.

Chacun de nous peut faire l’expérience, s’il lui plaît : il verra la superstition jaillir, sous ses yeux, de la volonté de succès. Placez une somme d’argent sur un numéro de la roulette, et attendez que la bille touche à la fin de sa course : au moment où elle va parvenir peut-être, malgré ses hésitations, au numéro de votre choix, votre main avance pour la pousser, puis pour l’arrêter ; c’est votre propre volonté, projetée hors de vous, qui doit combler ici l’intervalle entre la décision qu’elle a prise et le résultat qu’elle attend ; elle en chasse ainsi l’accident. Fréquentez maintenant les salles de jeu, laissez faire l’accoutumance, votre