Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/161

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coupable, tantôt l’esprit d’un mort, tantôt des forces plus ou moins définies ou individualisées... ; ce qui demeure semblable, et on pourrait presque dire identique, c’est la préliaison entre la maladie et la mort d’une part, et une puissance invisible de l’autre [1] . » À l’appui de cette idée, l’auteur apporte les témoignages concordants des voyageurs et des missionnaires, et il cite les plus curieux exemples.

Mais un premier point est frappant : c’est que, dans tous les cas allégués, l’effet dont on parle, et qui est attribué par le primitif à une cause occulte, est un événement concernant l’homme, plus particulièrement un accident arrivé à un homme, plus spécialement encore la mort ou la maladie d’un homme. De l’action de l’inanimé sur l’inanimé (à moins qu’il ne s’agisse d’un phénomène, météorologique ou autre, dans lequel l’homme a pour ainsi dire des intérêts) il n’est jamais question. On ne nous dit pas que le primitif, voyant le vent courber un arbre, la vague rouler des galets, son pied même soulever de la poussière, fasse intervenir autre chose que ce que nous appelons la causalité mécanique. La relation constante entre l’antécédent et le conséquent, qu’il perçoit l’un et l’autre, ne peut pas être sans le frapper : elle lui suffit ici, et nous ne voyons pas qu’il y superpose, encore moins qu’il y substitue, une causalité « mystique ». Allons plus loin, laissons de côté, les faits physiques auxquels le primitif assiste en spectateur indifférent : ne peut-on pas dire, de lui aussi, que « son activité quotidienne implique une parfaite confiance dans l’invariabilité des lois naturelles » ? Sans elle, il ne compterait pas sur le courant de la rivière pour porter son canot, sur la tension de son arc

  1. Ibid., p. 24.