Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/181

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L’étude des non-civilisés n’en sera pas moins précieuse. Nous l’avons dit et nous ne saurions trop le répéter : ils sont aussi loin que nous des origines, mais ils ont moins inventé. Ils ont donc dû multiplier les applications, exagérer, caricaturer, enfin déformer plutôt que transformer radicalement. Que d’ailleurs il s’agisse de transformation ou de déformation, la forme originelle subsiste, simplement recouverte par l’acquis, dans les deux cas, par conséquent, le psychologue qui veut découvrir les origines aura un effort du même genre à faire ; mais le chemin à parcourir pourra être moins long dans le second que dans le premier. C’est ce qui arrivera, en particulier, quand on trouvera des croyances semblables chez des peuplades qui n’ont pas pu communiquer entre elles. Ces croyances ne sont pas nécessairement primitives, mais il y a des chances pour qu’elles soient venues tout droit d’une des tendances fondamentales qu’un effort d’introspection nous ferait découvrir en nous-mêmes. Elles pourront donc nous mettre sur la voie de cette découverte et guider l’observation interne qui servira ensuite à les expliquer.

Revenons toujours à ces considérations de méthode si nous ne voulons pas nous égarer dans notre recherche. Au tournant où nous sommes arrivés, nous avons particulièrement besoin d’elles. Car il ne s’agit de rien de moins que de la réaction de l’homme à sa perception des choses, des événements, de l’univers en général. Que l’intelligence soit faite pour utiliser la matière, dominer les choses, maîtriser les événements, cela n’est pas douteux. Que sa puissance soit en raison directe de sa science, cela est non moins certain. Mais cette science est d’abord très limitée ; minime est la portion du mécanisme universel qu’elle embrasse, de l’étendue et de la durée sur laquelle