Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/183

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tiennent, et qu’il n’y a rien de commun entre la magie et la science.

Nous venons de voir, en effet, que l’intelligence primitive fait deux parts dans son expérience. Il y a, d’un côté, ce qui obéit à l’action de la main et de l’outil, ce qu’on peut prévoir, ce dont on est sûr : cette partie de l’univers est conçue physiquement, en attendant qu’elle le soit mathématiquement ; elle apparaît comme un enchaînement de causes et d’effets, ou en tout cas elle est traitée comme telle ; peu importe que la représentation soit indistincte, à peine consciente ; elle peut ne pas s’expliciter, mais, pour savoir ce qu’implicitemeut, l’intelligence pense, il suffit de regarder ce qu’elle fait. Maintenant il y a, d’un autre côté, la partie de l’expérience sur laquelle l’homo faber ne se sent plus aucune prise. Celle-là n’est plus traitée physiquement, mais moralement. Ne pouvant agir sur elle, nous espérons qu’elle agira pour nous. La nature s’imprégnera donc ici d’humanité. Mais elle ne le fera que dans la mesure du nécessaire. À défaut de puissance, nous avons besoin de confiance. Pour que nous nous sentions à notre aise, il faut que l’événement qui se découpe à nos yeux dans l’ensemble du réel paraisse animé d’une intention. Telle sera en effet notre conviction naturelle et originelle. Mais nous ne nous en tiendrons pas là. Il ne nous suffit pas de n’avoir rien à craindre, nous voudrions en outre avoir quelque chose à espérer. Si l’événement n’est pas complètement insensible, ne réussirons-nous pas à l’influencer ? Ne se laissera-t-il pas convaincre ou contraindre ? Il le pourra difficilement, s’il reste ce qu’il est, intention qui passe, âme rudimentaire ; il n’aurait pas assez de personnalité pour exaucer nos vœux, et il en aurait trop pour être à nos ordres. Mais notre esprit le poussera