Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/240

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médiocre, par l’enseignement machinal d’une science que créèrent des hommes de génie, éveillera chez tel de ses élèves la vocation qu’il n’a pas eue lui-même, et le convertira inconsciemment en émule de ces grands hommes, invisibles et présents dans le message qu’il transmet.

Il y a pourtant une différence entre les deux cas, et, si l’on en tient compte, on verra s’atténuer, en matière de religion, l’opposition entre le « statique » et le « dynamique » sur laquelle nous venons d’insister pour mieux marquer les caractères de l’un et de l’autre. La grande majorité des hommes pourra rester à peu près étrangère aux mathématiques, par exemple, tout en saluant le génie d’un Descartes ou d’un Newton. Mais ceux qui se sont inclinés de loin devant la parole mystique, parce qu’ils en entendaient au fond d’eux-mêmes le faible écho, ne demeureront pas indifférents à ce qu’elle annonce. S’ils avaient déjà des croyances, et s’ils ne veulent ou ne peuvent pas s’en détacher, ils se persuaderont qu’ils les transforment, et ils les modifieront par là effectivement : les éléments subsisteront, mais magnétisés et tournés dans un autre sens par cette aimantation. Un historien des religions n’aura pas de peine à retrouver, dans la matérialité d’une croyance vaguement mystique qui s’est répandue parmi les hommes, des éléments mythiques et même magiques. Il prouvera ainsi qu’il y a une religion statique, naturelle à l’homme, et que la nature humaine est invariable. Mais s’il s’en tient là, il aura négligé quelque chose, et peut-être l’essentiel. Du moins aura-t-il, sans précisément le vouloir, jeté un pont entre le statique et le dynamique, et justifié l’emploi du même mot dans des cas aussi différents. C’est bien à une religion qu’on a encore affaire, mais à une religion nouvelle.