Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

entre deux activités dans le vertige du néant, nous n’hésiterons pas à voir dans le Bouddhisme un mysticisme. Mais nous comprendrons pourquoi le Bouddhisme n’est pas un mysticisme complet. Celui-ci serait action, création, amour.

Non pas certes que le Bouddhisme ait ignoré la charité. Il l’a recommandée au contraire en termes d’une élévation extrême. Au précepte il a joint l’exemple. Mais il a manqué de chaleur. Comme l’a dit très justement un historien des religions, il a ignoré « le don total et mystérieux de soi-même ». Ajoutons — et c’est peut-être, au fond, la même chose — qu’il n’a pas cru à l’efficacité de l’action humaine. Il n’a pas eu confiance en elle. Seule cette confiance peut devenir puissance, et soulever les montagnes. Un mysticisme complet fût allé jusque-là. Il s’est rencontré peut-être dans l’Inde, mais beaucoup plus tard. C’est en effet une charité ardente, c’est un mysticisme comparable au mysticisme chrétien, que nous trouvons chez un Ramakrishna ou un Vivekananda, pour ne parler que des plus récents. Mais, précisément, le christianisme avait surgi dans l’intervalle. Son influence sur l’Inde — venue d’ailleurs à l’islamisme — a été bien superficielle, mais à des âmes prédisposées une simple suggestion, un signal suffit. Admettons pourtant que l’action directe du christianisme, en tant que dogme, ait été à peu près nulle dans l’Inde. Comme il a pénétré toute la civilisation occidentale, on le respire, ainsi qu’un parfum, dans ce que cette civilisation apporte avec elle. L’industrialisme lui-même, comme nous essaierons de le montrer, en dérive indirectement. Or c’est l’industrialisme, c’est notre civilisation occidentale, qui a déclenché le mysticisme d’un Ramakrishna ou d’un Vivekananda. Jamais ce mysticisme ardent, agissant, ne se fût produit