Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/261

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des choses. Coïncidant avec l’amour de Dieu pour son œuvre, amour qui a tout fait, il livrerait à qui saurait l’interroger le secret de la création. Il est d’essence métaphysique encore plus que morale. Il voudrait, avec l’aide de Dieu, parachever la création de l’espèce humaine et faire de l’humanité ce qu’elle eût été tout de suite si elle avait pu se constituer définitivement sans l’aide de l’homme lui-même. Ou, pour employer des mots qui disent, comme nous le verrons, la même chose dans une autre langue : sa direction est celle même de l’élan de vie ; il est cet élan même, communiqué intégralement à des hommes privilégiés qui voudraient l’imprimer alors à l’humanité entière et, par une contradiction réalisée, convertir en effort créateur cette chose créée qu’est une espèce, faire un mouvement de ce qui est par définition un arrêt.

Réussira-t-il ? Si le mysticisme doit transformer l’humanité, ce ne pourra être qu’en transmettant de proche en proche, lentement, une partie de lui-même. Les mystiques le sentent bien. Le grand obstacle qu’ils rencontreront est celui qui a empêché la création d’une humanité divine. L’homme doit gagner son pain à la sueur de son front : en d’autres termes, l’humanité est une espèce animale, soumise comme telle à la loi qui régit le monde animal et qui condamne le vivant à se repaître du vivant. Sa nourriture lui étant alors disputée et par la nature en général et par ses congénères, il emploie nécessairement son effort à se la procurer, son intelligence est justement faite pour lui fournir des armes et des outils en vue de cette lutte et de ce travail. Comment, dans ces conditions, l’humanité tournerait-elle vers le ciel une attention essentiellement fixée sur la terre ? Si c’est possible, ce ne pourra être que par l’emploi simultané ou