Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/263

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imposées à l’humanité par la nature permettrait, du côté spirituel, une transformation radicale. Telle est la méthode que les grands mystiques ont suivie. C’est par nécessité, et parce qu’ils ne pouvaient pas faire davantage, qu’ils dépensèrent surtout à fonder des couvents ou des ordres religieux leur énergie surabondante. Ils n’avaient pas à regarder plus loin pour le moment. L’élan d’amour qui les portait à élever l’humanité jusqu’à Dieu et à parfaire la création divine ne pouvait aboutir, à leurs yeux, qu’avec l’aide de Dieu dont ils étaient les instruments. Tout leur effort devait donc se concentrer sur une tâche très grande, très difficile, mais limitée. D’autres efforts viendraient, d’autres étaient d’ailleurs déjà venus ; tous seraient convergents, puisque Dieu en faisait l’unité.

Nous avons, en effet, beaucoup simplifié les choses. Pour plus de clarté, et surtout pour sérier les difficultés, nous avons raisonné comme si le mystique chrétien, porteur d’une révélation intérieure, survenait dans une humanité qui ne connaîtrait rien d’elle. Par le fait, les hommes auxquels il s’adresse ont déjà une religion, qui était d’ailleurs la sienne. S’il avait des visions, elles lui présentaient en images ce que sa religion lui avait inculqué sous forme d’idées. S’il avait des extases, elles l’unissaient à un Dieu qui dépassait sans doute tout ce qu’il avait imaginé, mais qui répondait encore à la description abstraite que la religion lui avait fournie. On pourrait même se demander si ces enseignements abstraits ne sont pas à l’origine du mysticisme, et si celui-ci a jamais fait autre chose que repasser sur la lettre du dogme pour le tracer cette fois en caractères de feu. Le rôle des mystiques serait alors seulement d’apporter à la religion, pour la réchauffer, quelque chose