Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/264

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de l’ardeur qui les anime. Et, certes, celui qui professe une telle opinion n’aura pas de peine à la faire accepter. Les enseignements de la religion s’adressent en effet, comme tout enseignement, à l’intelligence, et ce qui est d’ordre intellectuel peut devenir accessible à tous. Qu’on adhère ou non à la religion, on arrivera toujours a se l’assimiler intellectuellement, quitte à se représenter comme mystérieux ses mystères. Au contraire le mysticisme ne dit rien, absolument rien, à celui qui n’en a pas éprouvé quelque chose. Tout le monde pourra donc comprendre que le mysticisme vienne de loin en loin s’insérer, original et ineffable, dans une religion préexistante formulée en termes d’intelligence, tandis qu’il sera difficile de faire admettre l’idée d’une religion qui n’existerait que par le mysticisme, dont elle serait un extrait intellectuellement formulable et par conséquent généralisable. Nous n’avons pas à rechercher quelle est celle de ces interprétations qui est conforme à l’orthodoxie religieuse. Disons seulement que, du point de vue du psychologue, la seconde est beaucoup plus vraisemblable que la première. D’une doctrine qui n’est que doctrine sortira difficilement l’enthousiasme ardent, l’illumination, la foi qui soulève les montagnes. Mais posez cette incandescence, la matière en ébullition se coulera sans peine dans le moule d’une doctrine, ou deviendra même cette doctrine en se solidifiant. Nous nous représentons donc la religion comme la cristallisation, opérée par un refroidissement savant, de ce que le mysticisme vint déposer, brûlant, dans l’âme de l’humanité. Par elle, tous peuvent obtenir un peu de ce que possédèrent pleinement quelques privilégiés. Il est vrai qu’elle a dû accepter beaucoup de choses, pour se faire accepter elle-même. L’humanité ne comprend bien le nouveau