Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de sa perfection ; 2º pourquoi, ayant posé ce principe, l’a-t-il appelé Dieu ? Mais à l’une et à l’autre la réponse est facile : la théorie platonicienne des Idées a dominé toute la pensée antique, en attendant qu’elle pénétrât dans la philosophie moderne ; or, le rapport du premier principe d’Aristote au monde est celui même que Platon établit entre l’Idée et la chose. Pour qui ne voit dans les idées que des produits de l’intelligence sociale et individuelle, il n’y a rien d’étonnant à ce que des idées en nombre déterminé, immuables, correspondent aux choses indéfiniment variées et changeantes de notre expérience : nous nous arrangeons en effet pour trouver des ressemblances entre les choses malgré leur diversité, et pour prendre sur elles des vues stables malgré leur instabilité ; nous obtenons ainsi des idées sur lesquelles nous avons prise tandis que les choses nous glissent entre les mains. Tout cela est de fabrication humaine. Mais celui qui vient philosopher quand la société a déjà poussé fort loin son travail, et qui en trouve les résultats emmagasinés dans le langage, peut être frappé d’admiration pour ce système d’idées sur lesquelles les choses semblent se régler. Ne seraient-elles pas, dans leur immutabilité, des modèles que les choses changeantes et mouvantes se bornent à imiter ? Ne seraient-elles pas la réalité vraie, et changement et mouvement ne traduiraient-ils pas l’incessante et inutile tentative de choses quasi inexistantes, courant en quelque sorte après elles-mêmes, pour coïncider avec l’immutabilité de l’Idée ? On comprend donc qu’ayant mis au-dessus du monde sensible une hiérarchie d’Idées dominées par cette Idée des Idées qu’est l’Idée du Bien, Platon ait jugé que les Idées en général, et à plus forte raison le Bien, agissaient par l’attrait de leur perfection. Tel est précisément, d’après Aristote, le mode d’action de la