Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/273

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peuvent refaire en droit, sinon en fait ; et ceux qui en sont effectivement capables sont au moins aussi nombreux que ceux qui auraient l’audace et l’énergie d’un Stanley allant retrouver Livingstone. Ce n’est pas assez dire. À côté des âmes qui suivraient jusqu’au bout la voie mystique, il en est beaucoup qui effectueraient tout au moins une partie du trajet : combien y ont fait quelques pas, soit par un effort de leur volonté, soit par une disposition de leur nature ! William James déclarait n’avoir jamais passé par des états mystiques ; mais il ajoutait que s’il en entendait parler par un homme qui les connût d’expérience, « quelque chose en lui faisait écho ». La plupart d’entre nous sont probablement dans le même cas. Il ne sert à rien de leur opposer les protestations indignées de ceux qui ne voient dans le mysticisme que charlatanisme ou folie. Certains, sans aucun doute, sont totalement fermés à l’expérience mystique, incapables d’en rien éprouver, d’en rien imaginer. Mais on rencontre également des gens pour lesquels la musique n’est qu’un bruit ; et tel d’entre eux s’exprime avec la même colère, sur le même ton de rancune personnelle, au sujet des musiciens. Personne ne tirera de là un argument contre la musique. Laissons donc de côté ces négations, et voyons si l’examen le plus superficiel de l’expérience mystique ne créerait pas déjà une présomption en faveur de sa validité.

Il faut d’abord remarquer l’accord des mystiques entre eux. Le fait est frappant chez les mystiques chrétiens. Pour atteindre la déification définitive, ils passent par une série d’états. Ces états peuvent varier de mystique à mystique, mais ils se ressemblent beaucoup. En tout cas la route parcourue est la même, à supposer que les stations la jalonnent différemment. Et c’est, en tout cas, le