Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/283

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l’image qu’elle peut donner d’une création de la matière par la forme, devra penser le philosophe, pour se représenter comme énergie créatrice l’amour où le mystique voit l’essence même de Dieu.

Cet amour a-t-il un objet ? Remarquons qu’une émotion d’ordre supérieur se suffit à elle-même. Telle musique sublime exprime l’amour. Ce n’est pourtant l’amour de personne. Une autre musique sera un autre amour. Il y aura là deux atmosphères de sentiment distinctes, deux parfums différents, et dans les deux cas l’amour sera qualifié par son essence, non par son objet. Toutefois il est difficile de concevoir un amour agissant, qui ne s’adresserait à rien. Par le fait, les mystiques sont unanimes à témoigner que Dieu a besoin de nous, comme nous avons besoin de Dieu. Pourquoi aurait-il besoin de nous, sinon pour nous aimer ? Telle sera bien la conclusion du philosophe qui s’attache à l’expérience mystique. La Création lui apparaîtra comme une entreprise de Dieu pour créer des créateurs, pour s’adjoindre des êtres dignes de son amour.

On hésiterait à l’admettre, s’il ne s’agissait que des médiocres habitants du coin d’univers qui s’appelle la Terre. Mais, nous le disions jadis, il est vraisemblable que la vie anime toutes les planètes suspendues à toutes les étoiles. Elle y prend sans doute, en raison de la diversité des conditions qui lui sont faites, les formes les plus variées et les plus éloignées de ce que nous imaginons ; mais elle a partout la même essence, qui est d’accumuler graduellement de l’énergie potentielle pour la dépenser brusquement en actions libres. On pourrait encore hésiter à l’admettre, si l’on tenait pour accidentelle l’apparition, parmi les animaux et les plantes qui peuplent la terre, d’un être vivant tel que l’homme, capable d’aimer et