Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/285

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à la science est susceptible d’être prolongée, ce ne peut être que par l’intuition mystique. De fait, les conclusions que nous venons de présenter complètent naturellement, quoique non pas nécessairement, celles de nos précédents travaux. Une énergie créatrice qui serait amour, et qui voudrait tirer d’elle-même des êtres dignes d’être aimés, pourrait semer ainsi des mondes dont la matérialité, en tant qu’opposée à la spiritualité divine, exprimerait simplement la distinction entre ce qui est créé et ce qui crée, entre les notes juxtaposées de la symphonie et l’émotion indivisible qui les a laissées tomber hors d’elle. Dans chacun de ces mondes, élan vital et matière brute seraient les deux aspects complémentaires de la création, la vie tenant de la matière qu’elle traverse sa subdivision en êtres distincts, et les puissances qu’elle porte en elle restant confondues ensemble dans la mesure où le permet la spatialité de la matière qui les manifeste. Cette interpénétration n’a pas été possible sur notre planète ; tout porte à croire que la matière qui s’est trouvée ici complémentaire de la vie était peu faite pour en favoriser l’élan. L’impulsion originelle a donc donné des progrès évolutifs divergents, an lieu de se maintenir indivisée jusqu’au bout. Même sur la ligne où l’essentiel de cette impulsion a passé, elle a fini par épuiser son effet, ou plutôt le mouvement s’est converti, rectiligne, en mouvement circulaire. L’humanité, qui est au bout de cette ligne, tourne dans ce cercle. Telle était notre conclusion. Pour la prolonger autrement que par des suppositions arbitraires, nous n’aurions qu’à suivre l’indication du mystique. Le courant vital qui traverse la matière, et qui en est sans doute la raison d’être, nous le prenions simplement pour donné. De l’humanité, qui est au bout de la direction principale, nous ne nous demandions