Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/289

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que les parties constitutives de l’univers, et les parties de ces parties, sont des réalités : quand elles sont vivantes, elles ont une spontanéité qui peut aller jusqu’à l’activité libre. Aussi ne prétendons-nous pas que le rapport du complexe au simple soit le même dans les deux cas. Nous avons seulement voulu montrer par ce rapprochement que la complication, même sans bornes, n’est pas signe d’importance, et qu’une existence simple peut exiger des conditions dont la chaîne est sans fin.

Telle sera notre conclusion. Attribuant une telle place à l’homme et une telle signification à la vie, elle paraîtra bien optimiste. Tout de suite surgira le tableau des souffrances qui couvrent le domaine de la vie, depuis le plus bas degré de la conscience jusqu’à l’homme. En vain nous ferions observer que dans la série animale cette souffrance est loin d’être ce que l’on pense : sans aller jusqu’à la théorie cartésienne des bêtes-machines, on petit présumer que la douleur est singulièrement réduite chez des êtres qui n’ont pas une mémoire active, qui ne prolongent pas leur passé dans leur présent et qui ne sont pas complètement des personnes ; leur conscience est de nature somnambulique ; ni leurs plaisirs ni leurs douleurs n’ont les résonances profondes et durables des nôtres : comptons-nous comme des douleurs réelles celles que nous avons éprouvées en rêve ? Chez l’homme lui-même, la souffrance physique n’est-elle pas due bien souvent à l’imprudence et à l’imprévoyance, ou à des goûts trop raffinés, ou à des besoins artificiels ? Quant à la souffrance morale, elle est au moins aussi souvent amenée par notre faute, et de toute manière elle ne serait pas aussi aiguë si nous n’avions surexcité notre sensibilité au point de la rendre morbide ; notre douleur est indéfiniment prolongée et multipliée par la réflexion que nous faisons sur