Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/293

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à la trace les dilatations successives de la mémoire, depuis le point où elle se resserre pour ne livrer que ce qui est strictement nécessaire à l’action présente, jusqu’au plan extrême où elle étale tout entier l’indestructible passé : nous disions métaphoriquement que nous allions ainsi du sommet à la base du cône. Par sa pointe seulement le cône s’insère dans la matière ; dès que nous quittons la pointe, nous entrons dans un nouveau domaine. Quel est-il ? Disons que c’est l’esprit, parlons encore, si vous voulez, d’une âme, mais en réformant alors l’opération du langage, en mettant sous le mot un ensemble d’expériences et non pas une définition arbitraire. De cet approfondissement expérimental nous conclurons à la possibilité et même à la probabilité d’une survivance de l’âme, puisque nous aurons observé et comme touché du doigt, dès ici-bas, quelque chose de son indépendance par rapport au corps. Ce ne sera qu’un des aspects de cette indépendance ; nous serons bien incomplètement renseignés sur les conditions de la survie, et en particulier sur sa durée : est-ce pour un temps, est-ce pour toujours ? Mais nous aurons du moins trouvé un point sur lequel l’expérience a prise, et une affirmation indiscutable deviendra possible, comme aussi un progrès éventuel de notre connaissance. Voilà pour ce que nous appellerions l’expérience d’en bas. Transportons-nous alors en haut ; nous aurons une expérience d’un autre genre, l’intuition mystique. Ce serait une participation de l’essence divine. Maintenant, ces deux expériences se rejoignent-elles ? La survie qui semble assurée à toutes les âmes par le fait que, dès ici-bas, une bonne partie de leur activité est indépendante du corps, se confond-elle avec celle où viennent, dès ici-bas, s’insérer des âmes privilégiées ? Seuls, une prolongation et un approfondissement des