Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/300

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voulions simplement appuyer sur la distinction que nous avions faite entre la société ouverte et la société close.

Qu’on se concentre sur elle, et l’on verra de gros problèmes s’évanouir, d’autres se poser en termes nouveaux. Quand on fait la critique ou l’apologie de la religion, tient-on toujours compte de ce que la religion a de spécifiquement religieux ? On s’attache ou l’on s’attaque à des récits dont elle a peut-être besoin pour obtenir un état d’âme qui se propage ; mais la religion est essentiellement cet état lui-même. On discute les définitions qu’elle pose et les théories qu’elle expose ; elle s’est servie en effet d’une métaphysique pour se donner un corps ; mais elle aurait pu à la rigueur en prendre un autre, et même n’en prendre aucun. L’erreur est de croire qu’on passe, par accroissement ou perfectionnement, du statique au dynamique, de la démonstration ou de la fabulation, même véridique, à l’intuition. On confond ainsi la chose avec son expression ou son symbole. Telle est l’erreur ordinaire d’un intellectualisme radical. Nous la retrouvons quand nous passons de la religion à la morale. Il y a une morale statique, qui existe en fait, à un moment donné, dans une société donnée, elle s’est fixée dans les mœurs, les idées, les institutions ; son caractère obligatoire se ramène, en dernière analyse, à l’exigence, par la nature, de la vie en commun. Il y a d’autre part une morale dynamique, qui est élan, et qui se rattache à la vie en général, créatrice de la nature qui a créé l’exigence sociale. La première obligation, en tant que pression, est infra-rationnelle. La seconde, en tant qu’aspiration, est supra-rationnelle. Mais l’intelligence survient. Elle cherche le motif de chacune des prescriptions, c’est-à-dire son contenu intellectuel ; et comme elle est systématique,