Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour elle encore, l’activité mentale serait coextensive à l’activité cérébrale et y correspondrait point à point dans la vie présente. La seconde théorie est d’ailleurs influencée par la première, dont elle a toujours subi la fascination. Nous avons essayé d’établir, en écartant les idées préconçues qu’on accepte des deux côtés, en serrant d’aussi près que possible le contour des faits, que le rôle du corps est tout différent. L’activité de l’esprit a bien un concomitant matériel, mais qui n’en dessine qu’une partie ; le reste demeure dans l’inconscient. Le corps est bien pour nous un moyen d’agir, mais c’est aussi un empêchement de percevoir. Son rôle est d’accomplir en toute occasion la démarche utile ; précisément pour cela, il doit écarter de la conscience, avec les souvenirs qui n’éclaireraient pas la situation présente, la perception d’objets sur lesquels nous n’aurions aucune prise. C’est, comme on voudra, un filtre ou un écran. Il maintient à l’état virtuel tout ce qui pourrait gêner l’action en s’actualisant. Il nous aide à voir devant nous, dans l’intérêt de ce que nous avons à faire ; en revanche il nous empêche de regarder à droite et à gauche, pour notre seul plaisir. Il nous cueille une vie psychologique réelle dans le champ immense du rêve. Bref, notre cerveau n’est ni créateur ni conservateur de notre représentation ; il la limite simplement, de manière à la rendre agissante. C’est l’organe de l’attention à la vie. Mais il résulte de là qu’il doit y avoir, soit dans le corps, soit dans la conscience qu’il limite, des dispositifs spéciaux dont la fonction est d’écarter de la perception humaine les objets soustraits par leur nature à l’action de