Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/105

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leçon sera mieux sue ; il deviendra de plus en plus impersonnel, de plus en plus étranger à notre vie passée. La répétition n’a donc nullement pour effet de convertir le premier dans le second ; son rôle est simplement d’utiliser de plus en plus les mouvements par lesquels le premier se continue, pour les organiser entre eux, et, en montant un mécanisme, Créer une habitude du corps. Cette habitude n’est d’ailleurs souvenir que parce que je me souviens de l’avoir acquise ; et je ne me souviens de l’avoir acquise que parce que je fais appel à la mémoire spontanée, celle qui date les événements et ne les enregistre qu’une fois. Des deux mémoires que nous venons de distinguer, la première paraît donc bien être la mémoire par excellence. La seconde, celle que les psychologues étudient d’ordinaire, est l’habitude éclairée par la mémoire plutôt que la mémoire même.

Il est vrai que l’exemple d’une leçon apprise par cœur est assez artificiel. Toutefois notre existence s’écoule au milieu d’objets en nombre restreint, qui repassent plus ou moins souvent devant nous : chacun d’eux, en même temps qu’il est perçu, provoque de notre part des mouvements au moins naissants par lesquels nous nous y adaptons. Ces mouvements, en se répétant, se créent un mécanisme, passent à l’état d’habitude, et déterminent chez nous des attitudes qui suivent automatiquement notre perception des choses. Notre système nerveux ne serait guère destiné, disions-nous, à un autre usage. Les nerfs afférents apportent au cerveau une excitation qui, après avoir choisi intelligemment sa voie, se transmet à des mécanismes moteurs créés par la répétition. Ainsi se produit la réaction appropriée, l’équilibre avec le milieu, l’adaptation, en un mot, qui est la fin générale de la